lundi 26 juin 2017

Situation n°2 - Du vocabulaire coincé dans un dictionnaire, posé sur une étagère, couvert de poussière, tra-la-la-la-lère...




Girl's Talk by Fouquier

Suite à mon texte qui soulignait une forme d'insuffisance au sein de notre métier, j'ai souhaité illustrer mes propos. D'abord autour d'un entretien professionnel et cette semaine à propos d'une histoire de vocabulaire. Bonne lecture !



Avec Claire, nous sortons du vestiaire. ça y est notre série est bouclée, place aux RH. Il est 15h, la matinée s'est déroulée sans encombre et nous marchons côte à côte vers nos voitures. Claire est une jeune collègue, diplômée de juillet dernier. On bosse souvent ensemble et je suis surpris de voir autant de motivation chez une si jeune personne. Elle est curieuse et n'hésite à potasser les dossiers patients quand bien même ceux-ci compilent des dizaines d'hospitalisations. Elle n'hésite pas à non plus à solliciter les patients pour les voir en entretien afin de compléter leur biographie, mieux comprendre leur problématique ou simplement pour entretenir le lien de confiance. Comme je m'entend bien avec elle je lui pose cette question:

- Alors Claire, ça va, tu te sens bien dans le service?

- Oui oui ça va me répond-elle sans conviction.

- c'est un petit "ça va" non? Sauf erreur, c'était bien en admission que tu voulais bosser non?

- Oui tu as raison. J'adore l'admission...

- Mais?

- Mais au final, après près d'un an ici je suis déçue...

- Déçue? par qui, par quoi?

- Comment dire... Par l'équipe infirmière, oui je suis déçue par l'équipe. Oh individuellement y'a rien à dire, tous les collègues sont sympa, l'ambiance est excellente et c'est toujours un plaisir de venir bosser car on y rigole toujours beaucoup... Mais au-delà de ça je trouve qu'on a comme un déficit de professionnalisme... 

- Ahah voilà qui m'intéresse... Un déficit de professionnalisme, dis m'en plus please?

- Et bien par exemple on a sérieux problème avec le vocabulaire psychiatrique. On a un vocabulaire bien pauvre et ça se ressent sur nos transmissions orales et nos observations écrites.

- T'as un exemple?

- Ben pas plus tard qu'hier figures-toi mais c'est quasi-quotidiennement que j'ai des exemples. Donc hier on est installé autour du bureau et on est à M. B. dont je me suis chargée de l'admission. Tu sais c'est le monsieur admis pour dépression majeure. Alors je suis là à essayer d'en brosser le portrait le plus précis aux collègues qui ne le connaissent pas. J'insiste c'est vrai mais c'est parce que le risque suicidaire est réel, les idées noires même si elles sont atténuées par l'hospitalisation reste présentes par moment, donc il est à surveiller. Et tu vas trouver ça débile mais à un moment je dis pour le décrire qu'il présente un front en Oméga mélancolique. Alors c'est rien mais je les entend au bout de la table: des ricanements puis c'est G. qui prend la parole et qui dit "bon ce que Claire vous raconte avec son charabia c'est qu'il est bien tristoune le pépère".

- Tu t'es sentie vexée?

- Non mais c'est même pas ça. Je crois pas être quelqu'un de particulièrement susceptible mais j'ai remarqué que chaque fois que tu essayes d'employer des termes qui appartiennent au vocable de la psychiatrie il y a quelqu'un qui tire la conversation vers le bas. Là c'était "l'omega mélancolique" mais j'ai des exemples similaires récents avec euh... attend c'était quoi déjà.... ah oui avec "quérulents processifs". Ceci dit, ça il est vrai qu'on en rencontre pas souvent.  Mais l'autre jour c'était le terme "hébéphrénie" qui avait l'air de laisser sur le bord de la route la moitié de l'équipe.   

- T'exagère pas un peu?

- Mais pas du tout! Le pire et je suis prête à prendre les paris c'est que je crois qu'il y pas loin de la moitié de l'équipe qui ne fait pas la différence entre parano et paranoïde. Et c'est comme cela qu'on se retrouve à avoir des schizophrènes paranoïaques. Passe encore à l'oral mais écrit dans le dossier patient ça la fout mal... Merde ça fait quand même partie d'un minimum d'exigence qu'on peut avoir envers une équipe soignante non? On est aux trans pas au café du commerce!

- C'est bien dis ça!

- Alors du coup je me dis que si ce minimum de vocabulaire n'est pas maîtrisé comment veux tu aller plus loin. La sémiologie psy n'est pas maîtrisée et la pharmaco c'est pas mieux... Aujourd'hui il est évident que si tu parles pharmaco avec une partie de l'équipe et bien... tu parles tout seul! Va parler d'antagoniste des récepteurs dopaminergiques, c'est comme la messe en latin tout le monde opine du chef et personne n'y comprend rien!

- Oh tu sais là dessus, j'y ai jamais trop rien compris à ces histoires d'antagonistes... En tous cas, je vois que t'en a gros sur le cœur Claire!

- Non je suis juste déçue. Pour finir sur le sujet, tu vois quand je suis arrivée ici en juillet je me suis mise une forte pression. J'étais persuadée que j'allais me retrouver face à des collègues hyper-compétents, calé en psy et que j'allais être bien minable. Alors j'ai bossé, je me suis constituée un lexique pro que je continue à alimenter et à mémoriser pour améliorer mes transmissions et ma pratique en général. Et au final aujourd'hui je m'aperçois que rares sont les collègues qui sont dans une démarche d'amélioration de leur pratique. Combien parmi nous sont à même de te parler pendant plus de deux minutes de Freud et de ses apports? Qui peut parler des topiques Freudienne? On est pas nombreux, tu peux me croire! Alors c'est même pas la peine de parler de Jung ou autres. La plupart n'a jamais entendu ce nom...

- Bon ton constat est bien triste et peut-être un peu sévère. Je sais pas vraiment quoi dire hormis: est-ce que ça les empêche d'être de bons soignants?

- Et bien moi je dis oui! C'est vrai, ces mêmes personnes que je critique par rapport à leur absence de vocabulaire et de culture psy en général sont souvent de bons soignants. Elles ont un bon contact avec les patients, de l'empathie et elles savent écouter. Mais ne seraient-elles pas meilleures si elle décrivaient avec précision les symptômes qu'elle voient, si au lieu de copier mots à mots les délires du patient, elles les qualifiaient. Je dis pas qu'elles doivent de transformer en psychiatre ou en psychologue mais qu'un minimum de culture psy nous permettrait d'être mieux reconnu comme professionnel non pas de santé mais de psychiatrie.

- Alors je vais me faire l'avocat du diable et je te dis: je me fiche de ton savoir théorique, je ne suis ni pharmacien ni psychiatre. Je suis infirmière et j'en suis fière. Mon rôle c'est d'être au plus près de mes patients, de leur souffrance. Être là pour les écouter, pour leur tenir la main, pour les accompagner avec empathie et avec humanité dans ces moments pénibles qu'ils traversent... Rien à foutre du reste!

- Et bien je dis que tu as tort. Oui ce que tu décris comme ton rôle est essentiel... mais pas suffisant. On se doit d'être bon en tout. Notre métier est à la croisée des autres métiers: psy, psycho, éduc, as et même curateur parfois... C'est énorme mais ça nous oblige à être bon. Un autre exemple pour illustrer la nécessité d'avoir des bases théoriques avec la question de l'oeuf ou de la poule rapportée à la psychose. D'après toi qu'est-ce qui est premier chez un schizophrène le délire ou l'angoisse? L'angoisse est-elle réactionnelle au éléments délirants ou c'est le délire qui fait suite à une angoisse trop forte? Hein, d'après-toi Suzie Q, parce que pour moi vois-tu cette question possède - à la différence de celle de l’œuf et de la poule - une réponse, et c'est hyper-important de la connaitre. On peut pas revendiquer un rôle plein d'empathie et de compréhension sans justement comprendre l'angoisse d'un psychotique et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres! 

- OK Claire, bon je crois qu'on a un peu dérivé, mais c'était intéressant de discuter avec toi, je vais réfléchir à tout ça ça marche?

- Ok Suzie Q! Attend, un dernier truc, je te promet que c'est le dernier!

- Je t'écoute.

- Le pire dans tout ça, c'est que ça me tire vers le bas.

- Comment ça?

- J'ose de moins en moins utiliser un vocabulaire pro.

- Pourquoi? tu as peur des ricanements, tu as peur qu'on se foute de toi? 

- Oui mais pas que ça...

- Vas y explique

- Ben disons que j'ai surtout peur de mettre mal à l'aise quelqu'un qui ne serait pas à l'aise avec ces termes spécifiques...

- Énorme! En fait ton problème c'est que tu es trop empathique! Empathique au point de protéger tes collègues de leur suffisance professionnel! Toi t'es sacrément barré tu sais!

- Ben te fous pas de moi, c'est ce que je ressens c'est tout!

- Alors attend si je te suis, imaginons la scène suivante: tu bosses de nuit et l'un de tes patients fait un problème somatique x ou y. Suffisamment grave pour que tu préviennes le médecin de garde. Celui-ci envisage de le faire transférer aux urgences et vous demande, à toi et ta collègue de nuit, de poser une perf. Imaginons que ta collègue soit nulle en soins techniques en général et en pose de perf en particulier, est-ce que toi avec ton surplus d'empathie, tu vas refuser de poser la perf pour ne pas mettre mal à l'aise ta collègue?

- Ben p'têt pas quand même...

- Bon alors arrête tes conneries, arrête de te questionner à tout va et dis ce que tu as à dire aux trans. Parle richement si tu veux, parle en alexandrin si tu préfères mais parle psy nom de Dieu et si certain ne sont pas au niveau et bien ce n'est pas ton problème, il n'ont qu'à se mettre au taf, ils sont soignants et ne viennent pas ici pour passer le temps!

- Ok merci du conseil

- You're fuckin' welcome!


Alors on se retrouve très bientôt pour soit la situation n°3, soit pour repasser un peu de temps avec Claire...

Ah oui détail important, c'est l'été! Alors place aux vacances, reprise des activités sur le blog fin juillet!! 

KissKiss

SuzieQ, une fiction autobiographique



lundi 19 juin 2017

Situation n°1 : de l'art de vriller son entretien pro



Women's coffee chat par Pascal Maramis


Cette chronique est à lire dans la continuité de la précédente que tu peux relire ici. Allez si tu n'en as pas le courage, Suzie Q est sympa et t'en livre un bref résumé: il y a quelques semaines je m'inquiétais du risque de voir disparaître des postes IDE au profit de métiers moins chers pour l'établissement. Je pointais notamment le manque de savoir théorique des IDE qui auront un jour du mal à défendre leur métier tant la spécificité du rôle IDE en psy est mal maîtrisée. 

Pour illustrer mon propos voici une première situation vécue il y a quelques mois.

Elle c'est Sabine. Infirmière depuis 14 ans. Si ce n'est ses deux années passées en tant qu'infirmière libérale (dans le cadre d'une disponibilité de la fonction publique), elle a fait toute sa carrière en psy. Autant dire, la psy elle connaît! Quoique... 

Après sa parenthèse d'IDEL qu'elle décrit aujourd'hui comme un échec elle est revenue de sa dispo il y a près de deux ans sur l'EPSM. Son problème, pour elle qui a déjà beaucoup tourné sur les différents pôles et services, c'est qu'elle a perdu le poste sur lequel elle était affecté. Alors à nouveau il lui a fallu intégrer le pool de remplaçant et jongler avec des plannings à la petite semaine. Pas facile... 

Aussi était-elle très heureuse de passer un entretien pour intégrer l'un des services d'admission psy adulte de l'EPSM. Sabine a pour elle sa gouaille, sa bonne humeur légendaire, son aisance à l'oral, son peps. Mais est-ce suffisant quand l'on doit parler soin? 

Nous avions convenu de nous voir après son entretien dans un troquet en ville. Et c'est donc autour d'un café qu'elle me narra son entrevue:

- Ils étaient deux face à moi, le cadre du service et le médecin.

- aarff... j'aime pas ça quand les médecins se permettent d'intervenir sur les recrutements des infirmiers.

- moi non plus.

- à mon sens c'est surtout l'erreur des cadres de se laisser embobiner par les psy. L'éternel problème de soumission. Au lieu de s'affirmer du genre "je choisis mon équipe, je la compose avec les IDE qui partagent des valeurs communes et un sens élevé du soin" et donc par conséquent "toi médecin tu travailles avec ces IDE que j'ai choisis", nos cadres se retrouvent à dire dans un premier temps "ah oui ok pourquoi pas m'assister dans le recrutement" avant de baisser leur garde dans un second temps et de leur laisser carte blanche dans la composition de l'équipe. Le médecin devient le recruteur et le cadre le secrétaire...

- J'y avais pas réfléchis mais c'est sûr que la présence du médecin m'a mise en difficulté.

- Ah bon...

- ben oui au début tout se passait bien, on a fait le point sur mes expériences passées, j'étais à l'aise, puis, le psy m'a demandé si je me revendiquais d'un courant de soin. Tu le crois ça Suzie Q: de quel courant de soin vous revendiquez vous?

- Et alors qu'a tu répondu?

- Ben rien, je voyais pas où il voulait en venir. Alors il a fait comme une grimace et il m'a dit "bon à défaut de vous revendiquer de tel ou tel conception du soin, vous avez peut-être des modèles soignants?"

- Et donc?

- Ben j'ai rien répondu non plus. J'étais pas sûr de moi mais maintenant je me dis que j'aurai dû lui citer Virginie Henderson, tu crois pas?

- Virginie Henderson, non je crois pas... Quand t'es étudiant pourquoi pas et encore mais en tant qu'infirmière en psy, je pense qu'il valait mieux ne rien dire que de citer Henderson.

- Bon si tu le dis... Et puis attend, il m'a pas lâché, c'est vraiment un pervers, je sais pas ce qu'il cherche mais j'en suis encore énervée!

- Pourquoi dis-tu qu'il ne t'a pas lâché?

- Ben il voyait bien que j'étais en difficulté pour répondre à ses questions et là il me demande "pouvez vous me donner les principaux symptômes de la schizophrénie?"

- NON!!

- Ben si!

- C'est abusé! 

- Ah tu trouves toi aussi, ça me rassure....

- Ben attend, c'est abusé, certes... mais c'est surtout insultant! Merde on peut poser cette question à un jeune DE pour vérifier s'il s'intéresse un minima à la psy ou a quelqu'un qui postule pour la première fois en psy mais la poser à quelqu'un qui a quoi? une bonne dizaine d'années d'expérience en psy, oui je trouve que c'est insultant! Non mais est-ce qu'on demanderait à une coiffeuse confirmée ce qu'est un tie and dye ou à un mécanicien d'expérience s'il sait faire une vidange? à la limite qu'il te demande quelle sont les thérapies que tu trouves efficaces ou prometteuses dans la prise en charge de la schizophrénie mais en demander une définition c'est vraiment nul... Et alors que lui as tu répondu?

- Ben j'avais rien révisé, l'IFSI c'est loin pour moi... Alors vois-tu je savais pas quoi dire. J'ai bredouillé quelque chose sur les hallucinations et le délire mais quand il m'a demandé de développer j'étais perdue...

- Bon ben écoute, tu verras bien ce que ça donne.

Sabine n'a pas eu le poste.


***
 * 


Sabine, j'ai beaucoup de sympathie à ton égard. Ta PMA, ton insouciance et ta simplicité sont des exemples à suivre pour nombre d'entre nous. Mais pourquoi ne pas avoir préparé à minima ton entretien?

Pourquoi parler conception du soin et symptômes de la schizophrénie te mettent dans un tel embarras? Pourquoi après plus de dix ans de bons loyaux services ces simples questions te posent de telles difficultés? 

Tu pointes la pseudo-perversité du médecin, mais qu'en est-il de ton degré de compétence? 

Quand j'ai essayé avec un peu plus de douceur d'évoquer cela avec toi, tu t'es d'abord renfermée puis avec sagesse tu as reconnu que tu avais peut-être une part de responsabilité dans ce que tu as vécu comme un échec. Et là je me suis aperçu que reconnaître ses difficultés est une chose, savoir les résoudre en est une autre...

- T'as raison Suzie, je devrais peut-être me replonger un peu dans les trucs psy...

- C'est à dire?

- Ben tu sais, reprendre mes cours de l'IFSI par exemple...

- Tes cours d'IFSI sont pas un peu vieillots?

- Et alors?

- Ben, c'est une chouette idée que de vouloir consacrer du temps à la clinique mais il ne faudrait pas se tromper de cible. Entre réapprendre les bases, actualiser son savoir, ou approfondir ses connaissances, on là trois potentiels objectifs qui se travaillent différemment.

- Et qu'est ce que tu veux que je fasse alors?

- Moi rien! C'est toi qui viens de me dire que voulais te replonger dans la psy. Je ne te changerai pas, c'est toi qui est au commande de ta vie, si tu décides de changer quelque chose, ce sera ton choix.

- Bon alors, tu peux au moins me dire ce que tu en penses?

- Of course! Mon avis c'est que les cours d'IFSI se contentent de  dresser les contours de la psy. A qui sont il destinés? A des infirmiers qui exerceront pour la plupart dans les soins généraux. Ils donnent donc un aperçu à ces soignants de ce que sont les affections de santé mentale. Sans être forcément mauvais, les apports en IFSI sont grossiers et manque de nuance et de détails.

- Oui c'est vrai, ça me fait penser à ces images tu sais... Vu d'en haut tu distingues un objet, une forme bien précise mais plus ton œil se rapproche de l'image et plus celle-ci cède la place a de gros pixels.

- Mais c'est exactement ça! Le parallèle est bien trouvé Sabine. Quand nous étions à l'IFSI nous regardions la psy avec un œil lointain alors les apports théoriques nous suffisaient mais en choisissant d'y bosser nous nous sommes approchés et on s'aperçoit que tout n'est que gros pixels. Nous devenons de fait des spécialistes et nous nous devons d'être à la hauteur de ce statut. 

- Et donc je fais quoi, je vais sur le net?

- Pourquoi pas mais attention, il y a tout et son contraire, des sites fiables et d'autres moins, de l'info grand public et de l'info ultra pointue. Schizophrénie sur google c'est plus d'un million de résultats. Alors avant d'enrichir ton savoir tu risques de papillonner longtemps d'un site à l'autre. Internet c'est génial, mais si tes recherches ne sont pas exigeantes tu peux t'éloigner de ton sujet de recherches très rapidement.

-  Il reste les bons vieux livres alors, c'est ça?

- Ben oui comme tu dis les bons vieux livres.

- Ouais c'est pas con, j'ai vu que l'étudiant en avait un avec lui, je pourrai y jeter un œil.

- Tu parles de ce petit livre de poche relié de chez Masson?

- Oui c'est ça un truc comme "l'indispensable en stage"

- Oui ben tu oublies! Je déteste cette collection! Rien que de les voir ça me donne envie de faire un autodafé!

- Sérieux?

- Non pas sérieux! Mais ces livres sont éventuellement intéressants pour l'infirmier en pneumo qui de tant à autre rencontre un patient qui a une schizophrénie et qui débarque dans son service pour une décompensation respi mais ils ne sont en aucun cas destinés aux soignants en psy. Nous on ne cherche pas l'indispensable mais le dispensable justement. On cherche le détail, la finesse et non pas les pixels grossiers!    

- Ouais mais quels livres? J'ai rien chez moi?

- Alors comment faire?

- Je sais pas j'ai pas forcément envie d'acheter des livres, ça coûte cher... et puis je ne saurai pas quoi prendre...

- Ecoute, prends ton GPS et ta boussole et file au centre de documentation de l'hôpital.

- Ah oui c'est vrai j'en ai déjà entendu parler mais j'y suis jamais allée.

- Il y a tout là bas, tu seras bien accueilli, la documentaliste ne croule pas sous les visites. Parle avec elle, explique ce que tu cherches et elle te trouvera des choses pertinentes.

- Ok j'vais faire ça!

To follow...

Situation n°2 à venir...

KissKiss

Suzie Q, une fiction autobiographique








vendredi 9 juin 2017

Ascodocpsy ou la voie royale de l'autodidaxie

par Han Cheng Yeh


C'est probablement ma plus grande crainte. La plus grande parce que c'est je crois la plus réelle, celle dont la probabilité de survenue est la plus élevée dans un avenir plus ou moins proche. Oh non n'allez pas croire que je vais encore me plaindre de ma condition, non il ne s'agit pas d'une angoisse individuelle, méa culpa je crois que j'ai déjà assez versé dans l'intime les semaines passées (ici par exemple). Non il s'agit d'une crainte que l'on pourrait qualifiée d'institutionnelle voire liée aux orientations nationale de politique de santé publique des années à venir (telle que je me les imagine  hein,  entendons nous bien, je n'ai ni scoop en la matière encore moins le don de divination!)

Trêve de suspens, ma crainte est celle de voir des postes infirmiers disparaître au profit d'autres métiers aux qualifications inférieures et ce pour des raisons budgétaires uniquement. Car même mal payé, un infirmier c'est toujours beaucoup trop cher! Surtout si - logique de direction - on peut obtenir un travail sensiblement identique pour bien moins cher! 

Moi je n'ai rien contre les aides-soignants, rien contre les AMP, ASH ou autres, bien au contraire. Dans un système psychiatrique aux rouages bien huilés, chaque corps de métier trouve sa place et tout fonctionne à merveille. Mais que se passe-t-il quand l'huile des ces même rouages à trop chauffer, finit par s'enflammer? Le mécanisme s'emballe, la psy part en vrille et chacun se doit alors justifier de sa position sur l’échiquier du système de soins. Je crois que nous en sommes là. Les notions de restructuration, de réorganisation et d'efficience, oui, d'efficience sont aujourd'hui archi-connues de tous les acteurs de ce système! Efficience: obtenir le maximum de résultats avec le minimum de moyens.

Je le redis ici: je n'ai rien contre les autres corps de métiers exerçant en psy. Ce sont des hommes, des femmes, des collègues, des professionnels que je respecte et qui ont assurément leur place sur l'échiquier mais qui à l'instar des IDE devront la défendre. Les aides-soignants l'ont bien compris et partout dans notre bel hexagone on voit fleurir des groupes de travail du genre "Comment intégrer les aides soignants dans le soin psychiatrique?". Les non-soignants sont également sur la sellette comme l'indique cette news que j'ai vu passer il y a peu de temps concernant l'hôpital de Strasbourg qui sous-traite avec une société privé les missions de nettoyage.

Je n'ai rien contre les autres professionnels mais je suis infirmière et j'écris pour défendre la spécificité soignante de mon métier. Je ne cherche pas le clivage mais en un article je suis capable de me mettre tout le monde à dos IDE inclus. Car si je dois être "remontée" contre un groupe bien spécifique ce serait contre le mien, contre les infirmiers. Alors il est probable que je ne me fasse pas d'ami sur ce coup-là mais peu importe... Puisque j'ai l'impression que nous, IDE, sommes en train de nous tirer une balle dans le pied, autant tenter à ma façon d'empêcher ce passage à l'acte auto-agressif! Et puis vive la - saine - polémique, c'est elle qui permet de faire évoluer sa pensée. Happy Polémik en quelque sorte et advienne que pourra.

J'ai déjà beaucoup parlé du concept de PMA pour Positive Mental Attitude. Pensez-vous que ce concept possède sa face sombre, son versant obscur? Allez moi j'y crois, je le nomme pMA avec oui un p minuscule pour pessimiste, soit in english por favor la pessimistic mental attitude à savoir la capacité à tout voir en noir, à oublier les (50?) nuances de gris.

Alors oui cet article est peut-être écrit sous l'influence de cette pMA. Cet article va aussi casser du sucre sur le dos des infirmiers alors que la réalité n'est évidement pas aussi sombre que ce que je vais décrire. Il n'empêche... 

L'une des clés qui garantira notre présence dans le système de soins psychiatrique est notre niveau de compétence. Si notre valeur ajoutée est reconnue de tous alors nous n'avons aucune crainte à avoir. Mais en revanche si cette valeur ajoutée spécifique à la psychiatrie n'est pas claire, si elle est mise en doute, si elle questionnée, alors il y a péril en la demeure. Puisque nous coûtons plus cher que d'autres métiers, nous devons apporter une compétence qu'eux non pas.

Quand j'émet l'idée que nous sommes remplaçables je reçois souvent comme réponse "oui enfin nous on fait les prélèvements et les soins somat'". Certes, je suis d'accord, la formation AS par exemple, ne permet pas la réalisation de ces soins. Mais si être IDE en psy se limite à réaliser des soins somatiques alors rien ne justifie une telle présence infirmière dans les services. Un seul IDE par roulement serait suffisant non? 

Quand autour de la table on se pose la question, nous sommes à peu près tous et toutes capables d'expliquer pourquoi nous n'avons pas fait le choix des soins généraux. La déshumanisation des soins, la sur-technicité, les rythmes inacceptables, l'absence totale de considération par les hiérarchies... Les explications sont multiples. En revanche quand il s'agit d'expliquer le choix de la psychiatrie c'est moins évident. Bien sûr il y a toujours autour de la table quelqu'un qui y va de son "on ne vient pas en psychiatrie par hasard"... mais encore... Excusez ma vulgarité, mais la pire des explications qui est malheureusement celle qui revient le plus souvent est "j'avais un bon relationnel alors j'ai choisi la psy... " Alors ça, ça me troue le cul! Ma mère à un bon relationnel, mon oncle et mon chien aussi! Moi aussi quelque part mon relationnel n'est pas mauvais, mais ce n'est pas ma compétence infirmière. C'est une qualité humaine ô combien indispensable, que l'on peut probablement développer et améliorer mais ce n'est pas une compétence spécifique.

Spécificité psy, compétences psy, tout cela revient à parler du rôle de l'IDE en psy, ce qui est l'objet même de ce blog. L'accueil d'un étudiant IDE en service psy est assez symptomatique du mal qui nous ronge! Je suis toujours effarée par ce que l'on attend des EIDE. "Tu vas pouvoir réaliser des prises de sang, t'inquiète tu auras tout ton temps ici, tu feras des électro, tu auras peut-être quelques pansements si on a la chance d'avoir une phlébotomie, et puis tu vas faire des IM" Wouah... boum, clouée sur ce coup là! Elle est là notre spé psy, je l'avais pas vue passée, on fait des IM !! Nourrissons-nous une forme d'infériorité face à nos collègues du général pour présenter notre métier sous un angle uniquement technique? Pourquoi ne pas s'attarder sur ce qui fait la richesse de l'exercice en psy? La connaissons nous d'ailleurs? (article éminemment subjectif il va sans dire...)

J'ai la conviction qu'il y a plus de technicité dans un entretien infirmier que dans une la pose d'une voie veineuse. L'entretien IDE est l'un des "geste technique" le plus complexe qu'il soit. J'en veux pour preuve que si l'on peut maîtriser la pose de voie veineuse jamais on ne maîtrisera l'entretien infirmier. On peut améliorer sa pratique, progresser, avoir des convictions mais de là à la maîtriser... Et paradoxalement pour technique qu'il soit, je le trouve bien peu valorisé. Pourquoi cela? J'y vois plusieurs explications. La première, nombre d'IDE ne sont pas à l'aise dans l'exercice de l'entretien alors il ne veulent pas trop montrer leur pratique aux étudiants. Ensuite nombre d'IDE sentent l'aspect technique de l'entretien mais ne savent pas trop l'expliquer. (Combien pourraient citer les 4 processus de l'entretien motivationnel ou les 6 attitudes d'écoutes de Porter?) Enfin, pire des explications, certains IDE ne différencient malheureusement pas ou si peu la pratique de l'entretien infirmier de la conversation avec Mme Michu...


Mon constat peut sembler amer mais ce qui est génial c'est que nous avons le pouvoir de changer cela! En effet si nous décidons d'élever notre niveau de compétence (ou simplement de l'affirmer) personne ne pourra contredire notre rôle. S'améliorer c'est se former. Bien sûr on peut apprendre en observant les autres, apprendre via nos propres expériences mais ce n'est pas suffisant. Il faut se donner des bases qui vont au-delà des apports initiaux de l'IFSI, un socle de savoir, développer des points de vue, des opinions critiques, connaître les théories du soin pour y adhérer ou pour les rejeter. Nous devons défendre des positionnements soignants, des projets de soins, non pas fondés sur nos émotions mais étayés par des modèles conceptuels. La formation est la base. Nous pouvons soit attendre qu'elle vienne à nous soit aller la chercher. Attendre que notre employeur nous finance une formation c'est encore une fois s'enfermer dans une positon d'asservissement face à notre employeur qui décide qui former, quand former et le sujet de formation. 

Je préfère être maîtresse de mon destin, ne pas attendre et m'autoformer. Ce qui m'amène au titre de cet article, la voie royale, celle qui a mes faveurs. I believe in autodidaxie, i believe in ascodocpsy

WTF? Là encore, trop méconnu est cet endroit parfois obscur, parfois caché au sein de l'epsm, relégué dans une pièce perdue, dans un réduit sans fenêtre (oui j'en rajoute un peu... c'est pour la dramaturgie du propos...) comme si on voulait empêcher le curieux de savoir, l'ignorant de s'instruire. Cette pièce c'est le centre de documentation de votre établissement. Elle peut sembler minuscule, les ouvrages peuvent apparaître comme anciens et quelques peu surannés et pourtant... Et pourtant oui ce centre est un centre. Un centre du savoir qui concentre bien plus que ce qu'au cours d'une carrière nous ne pourrions emmagasiner. Ce n'est pas un musée, c'est à la fois l'histoire de la psy, l'actualité et le futur réunis en même lieu. Comment est-ce possible? Ascodoc- fuckin' - psy man! Comment l'expliquer? Un regroupement d'une centaine de centre de documentations psychiatrique de France et de Navarre qui mettent en commun leurs ressources. Concrètement, tu bosses à Bordeaux par exemple et tu rêves de lire... euh... je sais pas... tiens si je sais, tu rêves de lire un Didier Pleux, tu rêves de lire "La révolution du divan"! Tu l'as vu sur Amazon mais bon t'es pas chaud pour te l'acheter... Et bien file sur le site de l'ascodocpsy, tu fais ta recherche sur la base santé-psy et tu obtiens ceci. So what? Un exemplaire à Ravenel, un autre à Montperrin, c'est pratique c'est juste à 865km pour l'un et 650km pour l'autre. Bon outre le fait que j'améliore ma géographie je vois pas bien l'intérêt de cela, ma pétrolette ne tiendra pas la distance. Au contraire c'est formidable car maintenant que tu as identifié ces deux exemplaires, il te suffit, soit de passer voir (si tu as vraiment un bon relationnel - lol - et aussi un bon sens d'orientation) la documentaliste de ton établissement, soit lui passer un appel téléphonique ou lui adresser un mail car ton établissement dans sa grande mansuétude l'a surement doté de moyens de communication modernes en phase avec son époque. La documentaliste se chargera alors de te procurer le dit document de façon absolument gratuite charge à toi d'en faire alors une lecture attentive et si possible d'en retirer quelques idées que tu pourras utiliser dans ta pratique quotidienne.... et donc in fine améliorer ta compétence!

Mais ascodocpsy ce n'est pas que ça! Tu peux aussi t'abonner à une newsletter pointue sur ton ou tes sujets de prédilections qui chaque mois t'apportera les liens vers les articles scientifiques récemment publiés. Une veille numérique géniale pour l'amélioration permanentes des pratiques. 

Si vous m'avez lu jusqu'à ces lignes, bravo! J'entends déjà poindre les critiques. "Ouais c'est bien d'avoir un savoir théorique mais notre métier n'est pas une accumulation de savoirs. Nous sommes au chevet du patient, là où la théorie fait moins la maligne. Le "prendre soin", l'empathie voire l'amour dans le soin, ne sont pas des compétences que l'on apprend dans des livres Suzie". Oui c'est un point de vue qui se défend mais ce n'est pas le mien. Ce que je pense c'est que se détacher de l'approche théorique pour voler de ses propres ailes n'est possible qu'à condition de l'avoir cette putain d'approche théorique. A l'heure actuelle combien de soignants en psy sont capables de citer les deux topiques de Freud et combien savent qui est Carl Rogers? Et bien pas tant que ça je le crains. Et je ne parle que de deux références de base...  Vous trouvez cela exagéré? Alors faites un tour de table en fin de transmissions auprès de vos collègues, demandez leur quels auteurs influencent leur pratique? De qui s'inspirent-ils? 

Pour aller plus loin dans mon propos je vais rédiger deux ou trois articles qui illustreront mon propos et qui seront publiés sur le blog dans les jours, semaines à venir. 

Merci pour votre lecture attentive,
KissKiss

Suzie Q, une fiction autobiographique.