jeudi 28 septembre 2017

Un syndrome post traumatique? vous prendrez bien 10 ans de psychanalyse



Trapped by Aditya Doshi


"Comment mesurez-vous l'efficacité de votre prise en charge?"

Cette question qui me brûlait les lèvres, c'est Aurélie qui la posa. Et ainsi en l'espace d'une fraction de seconde je me sentie un peu moins seule dans cette salle de formation. Et dans la lente respiration qui suivie, dans ce volume d'oxygène pourtant saturé en CO² qui vint remplir mes poumons, je sentis un agréable mieux-être se diffuser en moi.

Tellement dommage que ce sentiment n'apparaisse que si tardivement... Pendant ces 3 journées consacrées au psychotraumatisme j'avais l'impression d'être une extra-terrestre du soin.

A chaque pause j'avais entendu l'admiration que le formateur suscitait chez mes collègues. Sa longue expérience de psychologue, ses interventions au sein de la cellule psychologique locale (CUMP), son sens du détail dans la description clinique des atrocités qu'il avait expertisé provoquaient torrents de louanges et exerçaient sur les infirmiers et infirmières du groupe comme une espèce de fascination.

Je n'avais pas remarqué Aurélie. Introvertie, discrète, elle n'était pour ainsi dire pas intervenue durant ces 3 jours jusqu'à cet ultime tour de table.

Face à l'absence de réponse de celui qui comme moi découvrait le son de sa voix elle précisa sa question:

- Je vous ai écouté attentivement, j'ai pour l'essentiel compris le sens du travail d'analyse que vous faites avec vos patients psychotraumatisé mais quelque chose me chiffonne... Je vois pas comment vous évaluez l'efficacité de votre travail? Comment savez vous si votre travail permet à vos patients de guérir ou en tout les cas de mieux vivre avec leur trauma? Utilisez vous des grilles ou des questionnaires pour quotter leur angoisse lors de votre première rencontre puis à intervalles réguliers?

Celui qui était aussi expert auprès des tribunaux laissa un blanc s'installer, sa racla la gorge puis répondit Aurélie:

- Je note que dans vos propos l'expression "évaluer l'efficacité" c'est bien ça n'est-ce pas?

- Oui peut-être... j'ai en effet dû dire cela....

- Pas de peut-être, vous l'avez dit.

- Et donc?

- Et donc me dites vous? Et bien je vais vous dire! "Evaluer l'efficacité" voilà une expression que je n'aime pas trop! Savez vous que l'humain et plus particulièrement le psychotraumatisé est un être exceptionnellement complexe qui ne saurait se laisser évaluer. Il n'est pas un robot dont on pourrait évaluer l'amélioration liée à tel ou tel changement de processeurs, logiciels ou autre. Non la complexité ne se laisse pas apprivoiser facilement...

- Je comprend et ne met nullement en cause la complexité de l'humain.  En revanche, les symptômes, ils existent quand vous rencontrez votre patient et ce que ce dernier attend c'est que vous les gommiez non?

- Peut-être... Vous savez nous proposons notre aide, nous ne l'imposons pas, c'est ensuite au patient de s'en saisir s'il estime en avoir besoin. Et puis tout ça est extrêmement variable. Certains s'améliorent au fil des séances, ils nous le disent et on le constate, d'autres arrêtent la thérapie sans qu'on en connaisse la raison, d'autre encore la poursuivent pendant des années sans avancer d'un iota. Réduire cela à une accumulation de symptômes qu'il faudrait faire disparaître comme une vulgaire liste de tâches à accomplir me semble quelque peu réducteur...

- Et ben je ne partage pas votre avis.

Tandis que chacun range crayons et cahiers en cette fin de journée de juin à peine refroidie par la critique d'Aurélie je repense déjà à ce à quoi nous venons d'assister.

Le psychotramatisme. Voilà un thème passionnant et ô combien d'actualité m'étais-je dit en découvrant cette formation proposée au sein de l'EPSM. Il n'y avait pas plus de détail sur le contenu si ce n'est le nom du formateur et sa qualité. Un psychologue sans plus de précision sur son obédience. Je demandai à ma cadre la possibilité de participer à cette formation, ce qu'elle accepta connaissant mon projet d'un jour intégrer la CUMP de mon département. (... bon au moment où j'écris ces lignes je suis plus que pessimiste à ce sujet puisque chacune de mes relances depuis deux ans se solde systématiquement par un laconique et expéditif "la CUMP ne recrute pas")

Le bilan que je tire de cette formation n'est pas mitigé, il est catastrophique. Je m'explique. J'étais très enjouée à l'idée de consacrer 3 jours à étudier le psychotraumatisme. Ces près de 24h promettaient monts et merveilles ou plutôt monts de morbidités et merveilles d'atrocités. Mais rapidement le formateur aussi sympathique soit-il et aussi compétent soit-il (je rappelle formateur, psychologue clinicien, psychanalyste, expert auprès des tribunaux, membre de la CUMP etc...) a mis le feu aux poudres. Au moins dans mon cerveau...

"... alors le traitement du syndrome de stress post traumatique rentre dans le cadre d'une psychothérapie classique relativement longue..."

Vous allez me dire que je vois la mal partout... Cette phrase qui m'a fait bondir est une fois écrite relativement vide... Qu'est-ce qu'une psychothérapie classique? Ben je sais pas ça dépend de qui la prononce non? Et si c'est un psychanalyste ne peut-on pas imaginer un instant que classique signifie psychanalyse? surtout quand à classique il accole "relativement longue"?

Le problème, voyez-vous, c'est qu'a aucun moment - aucun! - sur les 3 jours de formations ce formateur n'a abordé les alternatives à une "psychothérapie classique".

Rien sur l'EMDR,
Rien sur les Thérapies Brèves
Rien sur l'imagerie mentale
Rien sur l'hypnose
Rien sur le mindfullness ou pleine conscience
Rien sur les TCC
Rien sur la Thérapie d'acceptation et d'engagement ACT
Rien sur la Thérapie d'exposition
Rien sur le Propranolol

Et quand je rien, c'est rien! Nada, que dalle, pas un mot, pas une seule fois, pas UNE seule putain de fois, ce formateur au CV pourtant dense n'a ne serais-ce que cité l'une de ces thérapies.

Moi je n'ai rien contre les références et citations Freudienne dont à usé et abusé le formateur...

Je n'ai rien contre un formateur qui met une distance professionnelle avec des apprenants IDE en utilisant un champ lexical auquel les IDE aussi doués soient-ils n'ont qu'un accès limité.

Je n'ai rien contre l'enrobage psychanalytique qui - aussi jargonaphasique soit-il - suscite admiration dans les rangs des apprenants.

Je n'ai rien contre un formateur qui toutes les 3 phrases pose inlassablement cette même question "je sais pas si vous me comprenez?" ou bien "je sais pas si j'ai été clair là?"ou encore "vous comprenez ce que je veux dire?"

Bon ok je n'en ai pas totalement rien à faire... mais je peux l'accepter! Je peux accepter qu'un psychologue nous ramène, nous IDE, dans nos rangs de soignants terre à terre qui n'avons pas accès au symbolisme ou à la représentation. Nous n'avons pas la même formation, nos métiers et missions sont différentes alors je l'accepte...

J'accepte que chaque fois que l'un d'entre nous avance une interprétation symbolique, il doit quasi s'en excuser un ajoutant à son interprétation une expression comme "jouer les psy de bazar" ou "psychologie de comptoir ou de bas-étage" quand ce n'est pas "psychologie de caniveau". Je l'accepte car encore une fois nous ne sommes pas formés à cela...

Mais ce que je ne peux accepter c'est qu'une formation professionnelle dispensée dans un hôpital qui reçoit ponctuellement des traumatisés psychiques en grande souffrance soit aussi léger sur le contenu de ses formations.

Je m'en fais tout une montagne? Je regarde trop le soin avec un prisme TCC? Je n'accepte pas que la psychanalyse soit aidante pour nombre de patients? Vous croyez que c'est ça? Peut-être, mais voyons voir ce qu'en dise les textes...


Bon, histoire de ma faire taper dessus, commençons par Wikipédia! 

"Le but principal des traitements par les thérapies comportementales et cognitives (TCC) ou par l'EMDR est de faire disparaître toute la symptomatologie post-traumatique et de permettre ainsi à la victime de retrouver le statut antérieur."

à lire ici: https://fr.wikipedia.org/wiki/Trouble_de_stress_post-traumatique#Traitements

Bon j'ai bien compris wikipédia n'est pas une source officielle ou suffisamment fiable pour un sujet aussi sensible. En lisant l'article de wikipédia j'ai néanmoins découvert qu'un traitement du stress post trauamtique se prépare associant psychothérapie et prise de MDMA !!! Hallucinant non??

Alors allons voir ce que dis l'HAS! Et bien dès 2007, l'HAS a publié un guide qu'on peut télécharger ici et qui en page 17 aborde le stress post trauma. Je cite:

Le traitement de choix est la Thérapie cognitivo-comportementale (TCC) centrée sur le traumatisme ou la désensibilisation avec mouvements oculaires (EMDR : eye movement desensitization and reprocessing).

Oui vous avez bien lu "traitement de choix". Ce n'est pas écrit "en seconde intention" ou "pour les cas les plus résistants" ou "après 10 ans de psychanalyse infructueuse"... non "traitement de choix"!!

L'HAS vous dégoûte, elle n'est qu'une grosse machine qui ne comprend rien à la finesse de la psychiatrie, c'est ça? Alors voyons voir ce qu'en dit l'institut de victimologie. Extrait du site :

"Plusieurs stratégies thérapeutiques peuvent être proposés, leur indication est posée dans tous les cas par le psychiatre après une évaluation clinique : thérapie comportementale et cognitive (TCC) , le Eye Movement Desensitization and Retroprocessing (EMDR), l'hypnose, les groupes, la relaxation, thérapie interelationnelle ; dans tous les cas il s'agit d'une prise en charge psychologique globale mais centrée sur le traumatisme et ses conséquences, puis sur la personne et ses propres ressources."


Quand à la célèbre "neutralité bienveillante" chère à mon formateur et selon lui essentielle dans la prise en charge du stress post trauma, je recite l'institut de victimologie:


"Le thérapeute se met au contraire résolument du côté de la victime et bannit la « neutralité bienveillante » au profit d'une attitude empathique bien dosée qui ne confine jamais à la sympathie"

Promis j'ai rien inventé: même moi je trouve le verbe utilisé fort, très fort, limite extrême.

L'INVS a lui aussi son point de vue sur cette neutralité.

"Ce que Freud a défini comme une « neutralité bienveillante » qui vise à laisser la place au patient, désarçonne les victimes qui attendent parfois une attitude plus active faite d’interventions et de conseil. En règle générale, les victimes ne sont pas en mesure de s’engager d’emblée dans une telle démarche psychothérapeutique"

Quant au moyens existants pour évaluer l'efficacité d'une prise en charge du stress post traumatique il existent n'en déplaise à mon formateur. Oui Aurélie, chère collègue, ils existent.

Page 19 du document de l'HAS pré-cité on peut lire ceci:

"Les échelles disponibles pour mesurer l’efficacité des traitements sont Impact of Event Scale (IES-R), PTSD Symptom Scale Interview (PSS-I) et Posttraumatic Stress Diagnostic Scale (PTDS)."

Ces échelles sont faciles à trouver sur le net.

En débutant la rédaction de cet article, je n'avais pas pour intention de dézinguer mon formateur. Mais j'ai ressentie une forte colère lors de cette formation que j'ai voulue exprimer "sur papier".

Nous recevons des patients. Ils sont en demande d'aide et c'est notre mission de les aider.

Comment un IDE va-t-il concrètement mettre en application le contenu de sa formation?
En réalisant des entretiens riche de neutralité bienveillante... C'est pas ce qu'il faisait déjà? Si mais bon... En sortant aux trans infirmières des bouts de phrases qu'il aura copié mot à mot lors de sa formation "tu vois il y a une déliaison des interactions subjectives et intrasubjectives" bouts de phrases qui feront un flop a peine seront-ils sortis de sa bouche?

Nous sommes infirmiers et nous avons un rôle thérapeutique. Dans toutes les thérapies brèves que j'ai cité un peu plus haut nous avons notre place à prendre, notre rôle à jouer. A nous de nous en saisir. Boire les paroles d'un psychanalyste a certes quelque chose d'enivrant mais jamais nous ne deviendrons psychanalyste, cela ne relève pas de notre décret de compétences. Formons nous aux autres thérapies, celles qui soignent et soignons, bordel de m...e !!

L'OMS qui cite lui aussi l'EMDR et les TCC ne s'y trompe pas et ne nous oublie pas. Je cite son communiqué de presse du 6 août 2013 sur les soins de santé mentale après un traumatisme  "... au moyen de protocoles thérapeutiques simples pouvant être utilisés par les médecins et les infirmiers qui prodiguent des soins de santé primaires."


Kiss Kiss
Suzie Q, une fiction autobiographique





lundi 11 septembre 2017

Parlons addiction sexuelle, parlons du démon d'Hubert Selby Jr.



bah ouais j'me la pête avec ma petite collection Hubert Selby Jr.




Quand mon libraire m'a conseillé "le démon" je me suis sentie conne. Faut dire que j'ai toujours revendiqué Hubert Selby Jr comme l'un de mes auteurs américains préférés juste aux côtés de Bukowski, Tom Wolfe, Henry Miller ou encore Philip Roth. Alors ne pas avoir lu et pire ne même pas connaître ce démon me ficha une belle honte... Et quand il m'annonça que c'était probablement le livre de Selby le pus lu et vendu en France, je ne pus résister et le lui achetai.


Autant le dire d'emblée, ce n'est peut être pas le chef d'oeuvre que j'espérais. Je n'ai pas retrouvé ici le style explosif d'Hubert Selby Jr mais ce livre fait néanmoins monter le curseur Babelio à 4 étoiles sur 5. Et s'il trouve sa place ici, sur le blog, ce n'est pas tant parce que je le considère comme un très bon livre mais plutôt parce qu'il traite de ce qui nous intéresse, à savoir une plongée lente mais dévastatrice dans la détérioration psychologique d'un homme, sa solitude et sa folie.


Ce démon est comme le domino manquant entre Shame, le film exceptionnel de Steve Mc Quenn et American Psycho (qui lui atteindrait presque la note maximale de 6 étoiles sur 5...) de Monsieur Bret Easton Ellis. Un croisement entre l'addiction sexuelle d'un cadre voué à un avenir professionnel sans limite et un psychopathe finalement plus addict à l'excitation que ressent celui qui joue avec le feu, les limites et les interdits.

A Shame il emprunte l'extrême solitude du héros et la souffrance que génère son appétence pour le sexe. On imagine aisément le personnage principal Harry sous les traits de Michael Fassbender. A American Psycho il emprunte, au moins dans le dernier tiers du roman, la logique froide et l'absence d'empathie. Et là encore on pourrait imaginer Harry ressembler à Christian Bale l'acteur qui tenait le rôle de Patrick Bateman dans l'adaptation ciné qu'en avait faite Mary Harron.

Donc du sexe, oui. Ça commence comme une pulsion et dès les premières lignes le programme est annoncé. "Ses amis l'appelaient Harry. Mais Harry n'enculait pas n'importe qui. Uniquement des femmes... des femmes mariées." C'est brut et absolument pas métaphorique.


(Remarque: L'utilisation du verbe enculer en ouverture d'un roman est-elle la garantie d'un grand livre? Rien n'est moins sûr mais je fais néanmoins le constat que bien avant Vernon Subutex, Virginie Despentes dans ce qui était alors à mes yeux son Masterpiece intitulait son chapitre 1 "Je t'encule ou tu m'encules?". Ce qui par ailleurs pose la question de l'emprunt éventuel de ce verbe et l'hommage à Selby Jr de Despentes qui dans une interview à Télérama (à lire ici) citait volontiers l'Américain comme influence (parmi d'autres).)


Le livre nous donne à suivre la vie de Harry sur plus d'une décennie, depuis sa vie de célibataire hébergé chez papa et maman, à celle de jeune époux et jusqu'à celle de père de deux enfants. Professionnellement on suit son évolution depuis ses débuts comme jeune cadre prometteur jusqu'à devenir l'un des businessman influent de New York qui s'affiche sur les couvertures des magazines de son pays. Mais on le comprend vite Harry souffre d'une forme d'addiction. Une addiction au sexe à une époque (1976) où l'expression n'existait pas encore. En effet il faudra attendre le milieu des années 80 pour que Carnes puis Goodman la conceptualise. (plus d'info ici) "Ce qu'il voulait c'était baiser quand il avait envie de baiser, et se tirer ensuite". Harry est comme ça, sa vie se résume à une multiplication des aventures sexuelles.

Et tout d'abord on croit suivre un dragueur invétéré, le genre de bonhomme insupportable qui arrête toute activité dès qu'il croise "une belle paire de nichons et un beau cul bien rond"Sa routine: profiter de sa pause déjeuner pour aller rencontrer en ville au parc des femmes et les fixer d'un regard sans ambiguïté.

"fixant avec insistance (...) l'arrondi de la fesse"; "contempla ostensiblement ses jambes croisées"; "Harry ne détourna pas les yeux"; "il dévisageait les femmes d'un œil lubrique"; "la dévisageant avec concupiscence"

Une fois la jeune femme ferrée, Harry aime se faire désirer et joue volontiers avec ses femmes à usage unique qu'il jette dès l'acte consommé.

"il ne jugeait pas mauvais de laisser Mary poireauter quelques temps"; "la faire languir lui procurait une satisfaction supplémentaire"; "plus il y songeait plus ça l'excitait"

Alors il invente des faux noms et ne donne aucune adresse de façon à ne devoir entretenir aucune relation. Sinon "elle lui téléphoneraient à toute heure du jour ou de la nuit, ou viendraient chez lui quand elles avaient le feu au cul."

Son excitation ne naît pas tant dans l'acte sexuel lui-même que dans l'excitation qui l'entoure. Et notamment du fait qu'il puisse être surpris par les maris "il ignorait ce qui pouvait se produire et son appréhension augmentait son excitation"; "elle n'habitait peut-être pas à l'endroit indiqué, ou les choses n'allaient pas se passer comme il le pensait, son mari pouvait être là, ou rentrer à l'improviste (...) mais savoir que tout pouvait arriver ne faisait qu'accroître son excitation."

Mais une addiction n'en serait pas une si elle n'avait pas de répercussions négatives. Et pour Harry c'est tout d'abord la sphère professionnelle qui est touchée. A s'adonner ainsi à son addiction sur l'heure du déjeuner, forcément ses retards s'accumulent. D'abord quelques minutes, puis plusieurs heures, jusqu'à se faire porter pâle, accablé par la honte de revenir au bureau. Ses retards agacent bientôt au sommet de sa hiérarchie. Convoqué par son patron: il perd une promotion qui lui est pourtant promise.

"la seule chose dont il eût conscience était l'intensité de ses sentiments qui l'agitaient, et son incapacité à leur donner un nom ne faisait qu'accroître la panique qu'il ressentait."

Alors pour reprendre le contrôle, il tente l'évitement en surinvestissant son travail. Mais l'évitement est-il possible? Comment éviter la moitié de la population? Alors il a beau s'y contraindre et ne quasi-plus sortir du bureau le midi, la rechute lui tend les bras. Décision apparemment sans conséquence: un déjeuner avec la secrétaire. Bim-Bam-Boum c'est reparti!

"cependant, s'il parvenait encore à exercer un certain contrôle sur ses actes, il n'en allait pas de même pour ses pensées."

Si, dans un premier temps, l'évitement est une stratégie efficace pour qui souhaite mette un coup d'arrêt à une addiction, elle est difficilement tenable dans le temps. Le problème de notre anti-héros est le même que celui de l'alcoolique qui se tient à distance des bistrot. ça marche un temps et puis... Est-il possible de se tenir éloigner de toute bouteille pour le restant de ses jours? Rien n'est moins sûr. Alors faute de stratégie alternative plus élaborée Harry rechute. Et ce n'est pas le psychanalyste qu'il consulte qui lui offrira les clés pour s'en sortir. "...un grand trouble se fit dans sa tête et finit par l'envahir tout entier, et il réagit automatiquement de la seule manière efficace qu'il ait jamais trouvée." Et à nouveau les retards et à nouveau les opérations séduction.

Exemple de stratégie inefficace "il s'asseyait sur un banc en mangeait son sandwich, en pensant à tout autre chose. Et ça marcha. (...) Mais sa maîtrise ne tarda pas à l'abandonner et, une fois de plus, il se retrouva dans une chambre d'hôtel avec une nana." Très risqué comme stratégie non? et bien casse-gueule aussi non? Et pourtant si représentative de la réalité. Pour reprendre l'exemple de l'alcool, combien de patients soignés en addicto sont fiers en retour de permission d'annoncer tout de go qu'ils se sont rendus dans leur bistrot habituel mais qu'ils n'ont consommés qu'un café ou une limonade. Oui ça s'appelle jouer avec le feu.

Paradoxalement tandis que Harry s'enfonce dans toujours plus de sexe, et que sa santé mentale se dégrade au grand détriment de sa femme qui désespère de pouvoir l'aider, sa progression dans la hiérarchie de son entreprise ne semble connaitre aucune limite. Ses retards continuent d'exister mais sont largement compensés par son talent et son implication. En effet par moment il arrive à se défoncer pour le travail à y consacrer toute son énergie dans ce qui peut apparaître comme de véritable période de sevrage qu'il s'accorde. Malheureusement la 6ème étape de la roue du changement de Prochaska et Di Clemente vise juste et notre héros rechute.

Cette roue aussi connue sous le nom de modèle transthéorique du changement est - bien qu'imparfait - un outil de base à connaitre quand l'on s'intéresse aux addictions. Elle permet non seulement de comprendre où se situe notre patient mais surtout nous guide sur l'attitude thérapeutique à adopter et permet ainsi d'éviter des erreurs extrêmement énergivore et inefficace du genre vouloir sortir un patient de son addiction alors que lui n'en est qu'à la pré-contemplation, phase où le patient ne voit que des bénéfices à sa consommation et n'a donc aucunement l'intention d'y mettre un terme.

En l'espèce l'histoire débute alors que Harry est en pleine phase de précontemplation. Son addiction n'est pas vécue comme telle, elle n'est qu'une source de plaisir sans aucun point négatif. Une sorte de lune de miel. Le premier hic survient de la sphère professionnelle. Les retards s'accumulent, pris dans ses opérations de séduction, Harry qui opèrent sur l'heure du déjeuner, arrivent de plus en plus tard au travail. Les vives remontrances de son patron puis une promotion promise qui lui échappe et c'est la bascule, Harry passe en phase deux la contemplation. C'est la phase des questions, la phase où l'on pèse le pour et le contre.

"l'introspection devenait chez lui une habitude, et son esprit se brouillait à force d'essayer de comprendre le pourquoi et le comment de ce qui se passait en lui." "... il espérait pouvoir comprendre le pourquoi de ces événements et y remédier. Ou a défaut du pourquoi, il pourrait au moins comprendre le comment et empêcher tout ça de se reproduire."

"il aurait voulu pouvoir changer quelque chose, mais ne savait pas quoi."

S'ensuit la phase d'action (la phase de détermination est ici très brève, voire passée sous silence) où comme évoqué un peu plus haut, Harry en mettant les bouchées doubles au boulot s'octroi des périodes de sevrage. Les rechutes sont fréquentes mais avec un changement notable. L'on constate comme un syndrome de tolérance. Du genre toujours plus pour obtenir une satisfaction identique. Alors tout d'abord l'excitation vient des ses coucheries à l'heure du déjeuner puis cela devient insuffisant il faut toujours plus de frissons, de prises de risques...

La tolérance: "un sourire, un bonjour, un regard et une brève conversation, et puis sa queue qui fouille la chatte mouillée de la fille (...). Et il jouit, (...) et il attend le sentiment de bien-être, de soulagement qui suit habituellement l'éjaculation (...) Mais il ne vient pas. Pour une raison qui lui échappe, la méthode sûre et éprouvée qu'il emploie de longue date n'a plus l'efficacité qu'elle avait(...)."

L'on comprend alors que ce n'est pas tant d'une addiction au sexe que souffre Harry mais d'une addiction à la mise en danger, à la transgression d'interdits. Mais ce serait spoiler qu'en dire plus...
Au-delà de l'addiction il y a beaucoup à voir et à lire dans ce roman. Comme cette sensation de dépersonnalisation, de déréalisation, qui touche Harry:

"il se surprit à suivre une femme dans un magasin. Elle regardait les soutiens-gorge et les culotte, et lui l'observait. Jusqu'au moment où il prit soudainement conscience de ce qu'il était en train de faire.

"il aurait voulu se lever et s'enfuir, mais en était incapable et il restait là, tel u spectateur impuissant, et se voyait baiser la fille."

"il se retrouva allongé sur un lit en compagnie d'une des filles du service des relations publiques, conscient du fait qu'il pouvait encore prendre le dernier train, mais sachant qu'il n'en ferait rien. Comme si cette décision lui avait été imposée, sans qu'il eût son mot à dire, et il se résigna sans vraiment protester."

Alors faut-il lire ce livre? Clairement si tu n'as jamais lu un Selby Jr, ce n'est pas celui que je te conseille pour commencer. Son style - bien qu'intéressant puisque inspiré par le courant de conscience - n'est pas aussi "cinglé" que celui des Last exit to Brooklyn ou encore retour à Brooklyn. Je dis cinglé car si tu ne connais pas Selby, voici un extrait d'un article de Libé: Hubert Selby Jr, est «considéré comme le fou furieux de la littérature américaine. Il ne fait partie d'aucun courant, d'aucune école». Sa vie, en quelques mots, ce fut : «tuberculose, alcool, héroïne, HP et tout le reste." Un beau portrait tiré du même quotidien est à lire ici. En revanche, si tu veux lire quelque chose sur les addictions, alors là ça vaut le coup. Et si c'est le sexe qui t'intéresse et que tu désespères de pouvoir lire autre chose que la misère érotiquo-marketée de E.L James, n'hésite pas. (tu peux aussi lire en complément l’exceptionnel Complexe de Portnoy de Philip Roth).



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