mercredi 19 juillet 2017

Situation n°3 - La perm de Noël


par City of Boston Archives



3ème épisode sur le thème "un p'tit coup de formation nous ferait pas de mal". Si tu prends le train en route, je t'invite à lire le texte ici, puis les deux premiers épisodes que tu peux retrouver ici et !

Pour cet article, on s'éloigne des chaleurs estivales, pour retourner dans le froid hivernal.


Nous sommes dimanche 27 décembre. Il est 14h, l'heure des trans. On prend le temps, l'ambiance est détendue et chacun raconte son Noël. Il y a ceux qui ont trop mangé, ceux qui ont trop bu et ceux qui ont trop gâté leurs enfants. Et pour qui n'aurait pas assez festoyé, il y a même une bouteille de champagne au frais qu'on sabrera tout à l'heure. Jusqu'ici tout va bien

Le truc pendant les fêtes c'est que les patients sont beaucoup plus nombreux à partir en permission. Bien sûr les plus délirants, les plus maniaques, les plus décompensés et les suicidaires ne partent pas. Mais parmi les autres beaucoup passent d'un cocon institutionnel à un cocon familial l'espace de 24 ou 48h.

Alors cette année pour le réveillon de Noël, ils étaient une douzaine à partir en permission avec plus ou moins d'appréhension. Cela peut sembler difficile à comprendre pour qui n'a jamais mis un pied dans l’univers de la psychiatrie mais oui il y a bien de l'appréhension à quitter l'hôpital. En effet celui-ci à un rôle protecteur quand le monde extérieur est trop difficile à supporter et puis les familles sont loin d'être toujours aidante. Famille qui plus est, souvent impliquée de façon plus ou moins lointaine dans la problématique du patient. Alors partir, c'est pas toujours évident...

Et nous sommes là, réunis après les fêtes, pour les transmissions. Les permissionnaires, quant à eux, sont tous rentrés depuis la veille. La collègue annonce la couleur:

- Bon je vous préviens, ça va être rapide, on a pas grand chose à vous dire!

- Ok, ben dites le quand même lui répond Manu mon collègue d'après midi.

Et elle déroule... chambre 1, chambre 2, chambre 3. Tac-tac, tac-tac, tac-tac, un métronome réglé en mode kalachnikov... 

- Deux petites secondes, lui dit Manu, tu peux ralentir s'il te plaît, on finira pas plus tôt tu sais!

- Oh mais je t'ai dit on a rien à vous dire...

- Certes mais on était pas tous là les jours derniers et on veux bien - enfin moi je le veux - un minimum de trans! 

- Ohoh c'est dimanche!

- Tout à fait, j'ai encore mes repères temporels, hier c'était samedi et si tout se passe bien, si mes prévisions s'avèrent exactes, demain devrait être un lundi. Mais là ce sont les trans vois-tu... Alors j'imagine que tu es très impatiente d'aller fumer une clope mais comme on a une heure pour faire nos trans je me dis et désolé si ça semble délirant mais on pourrait faire... des trans?

- Putain mais il me charrie s'exclame en cherchant l'assistance parmi les collègues. Ok, ok  mais d'habitude le dimanche on est à la cool...

- Oui et on va l'être mais être cool ça veut pas dire ne rien faire. 10 minutes pour des trans de 30 patients, c'est bref non? je suis certain que si on s'y met sérieusement on peut faire le tour des patients en 30 à 40 minutes. Ce qui te laissera outre le temps de fumer ta clope le temps de jouer à Candy Crush!

- J'ai l'impression que tu me casses à fond là, non?

- Bon allez démarre!

Elle reprend depuis le début, sur un rythme plus lent mais sans trop savoir que dire... 

- Donc en chambre 5, Monsieur H. Qui était en perm pour Noël dans sa famille. Rentré à l'heure, a passé une bonne perm. Voilà.... Euh... Chambre 6, Madame L. Rien de particulier. Chambre...

À nouveau, Manu l'interrompt.

- Excuse-moi, tu vas vraiment croire que je t'en veux... mais elle était pas en permission elle aussi?

- Ah si c'est vrai mais je vais pas revenir sur toutes les perm, elles se sont toutes bien passées.

- D'accord, donc Mme L a passé une bonne perm, c'est une bonne nouvelle ça. 

- Oui c'est ce que je dis, pourquoi ça t'étonne?

- Ben oui puisque tu me poses la question, oui ça m'étonne.

- Bah écoute elle est pas venu dire que ça c'est mal passé donc par déduction c'était une bonne perm...

- Attends tu rigoles là! Dis-moi quelque chose de sa perm, elle a fait quoi de ses deux jours?

- J'en sais rien... elle devait pas passer Noël avec sa famille réunie au complet.

- Non mais je demande pas ce qu'elle devait faire, je demande ce qu'elle a fait.

- Et bien tu lui demanderas car elle nous a rien dit.

- Mais on lui a demandé ou pas?

- Ben j'en sais rien moi!

- Ah non mais heureusement que je suis bien installé sur mon fauteuil, il y aurait de quoi sa casser la figure! Donc si on ne sait rien de sa perm, pourquoi me dis-tu qu'elle en a passé une bonne?

- Mais si ça c'était mal passé, elle serait venue nous voir et nous le dire!

- Ah bah tu vas déchanter toi... là tu rêves très fort... Et donc si je comprends bien, on n'a posé à aucun patient à son retour la question du bon déroulement ou non de sa perm? 

- Non il y en a ou on a les infos..

- Ceux qui sont venus d'emblée nous voir c'est ça?

- écoute tu me saoûles là...

- Alors j'en suis sincèrement désolé et ce d'autant plus que je vais t'achever... T'es prête?

- Ben s'il s'agit de m'achever vas- y mais fais vite s'il te plaît!

- Je suis quand même vachement étonné que Mme L ait passé une bonne permission comme tu le dis. Cette dame est en dépression profonde, elle vivait repliée chez elle, avec quasi aucun contact de l'extérieur depuis des mois, on l'a récupérée dans un état d'incurie assez rare. Je pense que tout le monde se souvient ici de l'état de délabrement physique qu'elle présentait à son admission. Et là bien qu'elle soit nettement mieux, elle part en permission pour retrouver sa famille au grand complet avec cousin, cousine, neveu, nièce etc... Alors voir autant de monde d'un seul coup, en plus pour un événement festif, pour elle dont la thymie est encore bien fragile, excuse-moi mais je pense que ça doit être particulièrement difficile comme épreuve. Et ça me semble bien réducteur de qualifier sa perm de bonne, il y a forcément un "mais", un quelque chose qui a été difficile, ça peut être le regard de l'autre ou l'évitement des proches qui ne sait comment gérer cette personne qui vient droit de l'HP, ça peut être le fait qu'elle ne soit pas sentie à l'aise ou à sa place ou autre chose mais je pense qu'on doit "enquêter" pour évaluer son état psychique à son retour... Parce que merde on a un métier! On n'est pas réceptionniste à l'hôtel. Bien sûr nos patients on le droit à une vie privée et intime et ils ne nous diront que ce qu'ils ont envie de nous dire, c'est leur droit et je le respecte, mais si on ne pose pas les questions, on a aucune chance d'avoir les réponses... C'est aussi simple que cela! Et puis tu sais un entretien après une permission c'est à mon sens presque obligatoire! Il ne faut pas désacraliser l'étape de la permission. Une permission c'est pas un patient qui dit "oh j'ai envie de souffler un peu de mon hospit, allez je me prends quelques jours pour aller à la maison ou pour partir en week end et je reviens lundi en forme pour poursuivre cette hospit. Non, une perm c'est pas ça, une perm c'est l'épreuve de réalité, c'est la confrontation au réel! Nos patients sont hospitalisés parce que ce réel justement, ce monde ordinaire mais exigeant, leur était devenu insupportable, tellement insupportable qu'ils ont dû trouver refuge ici à l'hôpital. Mais on va pas les garder ad vitam eternam, quand ça va un petit peu mieux et bien notre mission c'est de les renvoyer dans ce réel si éprouvant. On les y envoie pour un temps limité, une journée dans un premier temps et puis après si tout s'est bien passé on peut envisager deux jours ce qui inclut la nuit et puis nous on évalue. C'est là notre rôle infirmier, c'est à nous de faire ça et quelque part le patient il attend ça de nous, il attend qu'on vienne le voir pour lui demander! On doit évaluer en amont: est-ce que vous vous sentez prêt? Quel est votre programme? Avez vous des appréhension? Allez vous être accompagné? Voulez vous qu'on regarde ensemble vos médicaments? Avez vous nos coordonnées si vous vous sentez mal? Et puis on évalue au retour: Qu'avez vous fait? Était-ce conforme à vos projets? Avez vous ressenti des difficultés? Comment vivez vous le fait de revenir à l'hôpital, est-ce plutôt rassurant ou éprouvant? Et puis pour finir, ces informations on ne les garde pas pour nous, on les transmet aux collègues de façon la plus précise possible afin de ne pas passer pour des guignols en disant au psy qu'untel a passer une bonne perm et que cette même personne décrive une perm catastrophique en entretien médical parce que ça, ça arrive et ça la fout mal! 

- Bon je vais aller m'enterrer, vous pourrez dire à ma famille que je l'aimais!

- Oh désolé je veux pas te blesser, j'ai rien contre toi, j'ai juste remarqué que c'est de plus en plus fréquent d'avoir très peu de trans sur les permissions, ces entretiens de retour de perm se perdent et c'est pas une bonne chose. Donc quitte à passer pour le vieux con du service, je le dis, après chacun en fait ce qu'il veut!

- Bon ok, j'admet qu'on a été un peu "lège" sur les retours de permissions, on va dire qu'on était pas remis de Noël. En attendant, moi je passe la main, si quelqu'un veut poursuivre les trans, j'en ai plein la tête alors oui je vais aller me fumer une clope! Et si quelqu'un a quelque chose à me dire, et bien je l'emmerde et na!

KissKiss
SuzieQ, une fiction autobiographique



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